Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/211

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propre penchant, avoir à combattre en moi-même une volonté bien prononcée, bien impétueuse, ce serait un bonheur que d’autres passions m’ont donné et que j’attends encore de l’amour. Je ne fuirais pas comme lui, je souffrirais, j’existerais… au lieu que je m’ennuie !… Flavien renonce à elle, il a raison. Il a eu avec Dutertre des relations d’argent où ce dernier s’est montré si bon voisin, on pourrait même dire si bon ami, qu’il serait grossier de faire sous ses yeux la cour à sa femme. Et puis Flavien est de ces hommes qui ne savent pas attendre, et qui vont tout de suite aux derniers périls, sauf à s’en repentir le lendemain ; moi, je ne me sens pas si attaché à Dutertre, et, d’ailleurs, je n’ai pas besoin d’un drame, j’aimerais mieux un poëme. Il n’y a que les fats et les sots qui résolvent la chute d’une femme et le désespoir d’un mari. L’homme d’esprit marche devant lui à l’aventure, cueillant ce qu’il rencontre, fleurs ou fruits, ne songeant à ruiner, à dépouiller personne, profitant de la vie et n’abusant de rien. Or, comme il n’y a de crimes véritables que ceux qui sont prémédités, l’homme d’esprit peut et doit être heureux, sans danger de faire le malheur des autres.

Ayant ainsi entassé beaucoup de sophismes à son usage, cet esprit plus souple que rigide s’abandonna à une fantaisie nouvelle, après avoir réduit tous ses scrupules au silence.

— Mon entorse sera guérie ce soir, dit-il en donnant un coup de pied au coussin que la crédule Manette arrangeait tous les matins sous son bureau.

Et, comme il faisait à grands pas le tour du salon, il vit devant lui, à la hauteur de la fenêtre, la figure à la fois simple et narquoise de M. Crésus, qui, du dehors, le regardait marcher avec admiration.