Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/225

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— Et comment rentrerez-vous ?

— À dix heures, comme à l’ordinaire. Je sors souvent avec le jour, et je ne m’afflige pas toujours de la société d’Amédée. Crésus ou tout autre laquais m’accompagne souvent le matin ; les premiers palefreniers qui se lèveront se diront que je suis sortie apparemment un peu plus tôt que de coutume. J’ai tant de fantaisies, qu’ils ne s’étonnent jamais de rien. Les premiers bûcherons qui me rencontreront dans les bois à l’aube du jour se diront que je viens de me lever. Ce ne sera pas la première fois que j’aurai été debout aussitôt qu’eux, et ceux qui me verront rentrer ne sauront pas si je suis dehors depuis deux heures ou depuis douze. Mon père, qui commence à devenir féroce, me dira peut-être que je me fatigue trop, et qu’il ne veut plus que je sorte sans lui ou sans son neveu, qui est une véritable bonne d’enfants. Qu’est-ce que cela me fera, du moment que j’aurai réalisé ma fantaisie d’aujourd’hui ? Demain, j’en aurai quelque autre qu’il n’aura pu prévoir.

— Ainsi, mademoiselle, dit Thierray toujours assez froid et attentif, vous allez, pour satisfaire la fantaisie de m’effrayer par l’apparition d’un spectre, errer dans les bois, par une nuit très-froide, depuis deux heures du matin jusqu’au lever du soleil ? Et, encore après, en dépit d’une nuit sans sommeil et sans abri, vous continuerez à chevaucher jusqu’à dix heures, pour ne pas éveiller de soupçons ? C’est payer un peu cher un si court et si fade amusement.

— Il se peut que le plaisir ait été médiocre pour vous, répondit-elle ; mais, pour moi, il a été complet. D’abord, j’ai eu un peu peur moi-même, émotion sur laquelle je ne comptais pas ; car je suis aussi sceptique que vous prétendez l’être. Mais je crois que nous ne le sommes ni