Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/245

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disposition de son esprit et la nature de ses sentiments.

Elle ne parut qu’au déjeuner, et Thierray passa l’après-midi avec Éveline dans les bois et les rochers au-dessus de la cascade. Dutertre les y avait accompagnés ; mais Éveline était lasse, et le père, voyant l’amant épris sérieusement, c’est-à-dire religieusement respectueux, alla errer plus loin et les laissa ensemble.

Cependant, après une nuit et une journée de tête-à-tête peu interrompu, Thierray n’était pas plus avancé qu’auparavant, en ce sens que, pas plus que la semaine précédente, Éveline, tout en lui faisant voir par mille séductions charmantes qu’elle le préférait atout autre et voulait être aimée de lui, ne se départit pas une seule fois de sa légèreté, de son incertitude, disons le mot, de son absence de moralité dans la religion du cœur. L’amour, pour elle, était un jeu plus délicieux que tous les autres jeux dont se composait sa vie morale ; mais, au fond, c’était toujours un jeu. Elle était belle joueuse, elle savait perdre sans humeur, mais elle s’obstinait à la revanche. Elle voulait gagner, c’est-à-dire posséder les cœurs sans laisser posséder le sien d’une manière absolue. Elle ne voyait jamais que le jour présent. L’idée de l’avenir, si douce aux affections durables, si nécessaire à la loyauté et à la logique de Thierray, était une idée antipathique à l’esprit aventureux et flottant d’Éveline. On eût pu résumer toutes les promesses de cette âme légère par ces mots : « Espérez, n’exigez pas. Je vous aime aujourd’hui, faites-vous aimer demain. Je ne pourrai jamais répondre de moi-même ; je suis sincère, je ne me vante de rien. Je ne me connais guère, c’est à vous de me juger, de m’apprécier ou de me fixer. Mais ne comptez pas trop sur mon aide. Je ne peux m’aider moi-même, je me laisse