Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/334

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depuis qu’il s’était senti ce soir-là oppressé d’un pressentiment étrange, tout à fait insolite dans son caractère calme et dans son esprit enjoué.

Blondeau n’était pas, d’ailleurs, complètement dépourvu de la curiosité qui atteint jusqu’aux plus sages natures dans la vie de province. Il ruminait donc ce qu’il venait de voir et d’entendre.

— Comment diable, se disait-il, Dutertre, qui n’a jamais eu de sa femme l’ombre d’un sujet de jalousie, s’avise-t-il, après huit ans de parfait amour, dont quatre ans de mariage modèle, d’être jaloux à ce point ? Qu’est-ce que ça lui fait que sa femme soit conduite en voiture par M. de Saulges, quand il la laisse depuis deux ans dans une sorte de tête-à-tête avec Amédée et jouissant d’une liberté illimitée, privilège des honnêtes femmes incapables d’en abuser ? Quel mal peut-on faire dans une voiture quand la femme est au fond et l’homme sur le siége ? Est-ce une manière commode pour causer ? Mieux vaudrait se promener bras dessus bras dessous dans les bois, et même dans les allées de ce parc, qui sont beaucoup plus mystérieuses, à mon avis. Est-ce que, dans les promenades de famille, dans les chasses, dans les courses quelconques auxquelles on se livre aux vacances, Dutertre n’a pas vu dix fois sa femme accompagnée tantôt par l’un, tantôt par l’autre ? Est-ce qu’elle ne pourrait pas, fort naturellement et fort innocemment, prendre dans sa voiture M. de Saulges ou M. Thierray, qui sont peut-être tous deux des gendres postulants, pour causer avec eux de quelque projet de mariage, ou, en effet, pour aller voir avec eux des indigents et des infirmes ? Je trouve un peu singulier qu’elle ait été précisément pour cela à Mont-Revêche en personne, au lieu de m’y envoyer. Mais, que diable ! il y a quelque raison fort simple à cela, que la