Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/58

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si d’elles-mêmes elles n’eussent détruit comme à plaisir le charme de la vie de famille, l’une par ses bizarreries, par ses caprices d’enfant gâté et impérieux, l’autre par une orgueilleuse amertume. Toutes deux craignaient de trouver de la partialité dans le jugement de leurs parents, et, par-dessus le marché, toutes deux avaient la certitude de rencontrer une critique malveillante ou dédaigneuse toute faite d’avance dans l’esprit l’une de l’autre.

Malgré cette antipathie instinctive des deux sœurs, elles pouvaient difficilement se passer l’une de l’autre dans l’assaut qu’elles livraient à une troisième puissance domestique. L’entretien que nous allons rapporter expliquera la nécessité de cette alliance forcée dans l’offensive, mais non pas solidaire dans la défensive.




IV


— Comment ! il n’est que minuit ? dit Éveline, qui feuilletait un roman de Walter Scott sans le lire, étendue sur un moelleux sofa, et jouant tantôt avec les tresses détachées de ses beaux cheveux, tantôt avec les oreilles d’un énorme et magnifique terre-neuve.

— Je trouve aussi le temps long aujourd’hui, répondit Nathalie, qui, d’une main ferme et en caractères d’une largeur affectée, copiait une longue tirade de sa façon sur un vélin épais et cassant.

— Mais cela s’explique, reprit Éveline, il y a une grande heure que nous sommes ensemble.

— Éveline, tu prends avec moi des habitudes de sarcasme qui lasseraient la patience de tout autre, mais dont j’ai résolu de ne pas m’apercevoir. Tu ne t’aperçois donc pas, toi, ma chère, de la cause de mon silence ?