Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/71

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le profond dépit d’une femme sans cœur qui hait et maudit le bonheur des autres.

Éveline en fut effrayée. Une rougeur brûlante couvrit son front.

— Ils s’aiment donc bien ! dit-elle en aspirant de toute son haleine l’air frais de la nuit.

Mais, faisant un dernier effort pour échapper à la maligne influence de sa sœur aînée, elle regarda d’un autre côté et dit pour changer d’entretien :

— Il paraît que personne ne dort cette nuit, car les croisées d’Amédée sont éclairées aussi. Ce bon Amédée ! il travaille, il fait des chiffres, il compte nos richesses et les augmente par l’ordre et l’économie qu’il y porte.

Puis, entraînée par une succession d’idées assez naturelle, Éveline ajouta :

— Il ne possède rien, lui, et il n’y songe pas. Il est l’homme d’affaires de la famille. Il ne désire rien pour lui-même, heureux qu’il est d’être utile à mon père et à nous ! Il serait bien juste qu’une de nous le récompensât un jour de tant de soins et de désintéressement. Allons, allons, Nathalie, si Olympe nous enlève les amoureux de passage, elle fait bien, elle nous rend service ; car le bonheur est peut-être là, dans ce pavillon carré, où Amédée veille pour nous, et je crois bien que celle de nous qui l’y trouvera sera la plus sage des trois.

— Ainsi, tu te rabats, en désespoir de cause, sur le pauvre cousin ? dit Nathalie d’un air triomphant, car elle avait enfin, à travers mille détours, amené Éveline au point où elle la voulait. Eh bien, ma chère petite, il te faudra encore renoncer à ce pis aller. Des charmes plus puissants que les tiens s’y opposent, et ce n’est ni à toi, qu’il dédaigne comme une éventée, ni à moi, qu’il déteste comme un juge clairvoyant, ni à la Benjamine,