Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/100

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quand elle saura qu’il n’y a plus de couvents. Mais qui sait ce qui peut arriver de tes parents et de ta fortune ? Ton père, avec qui j’ai échangé quelques lettres, est un homme du temps passé, qui n’a pas cru à ce qui nous arrive et qui y croira peut-être trop tard, quand il ne sera plus temps d’aviser. J’ai su, et je n’ai pas voulu te dire, mais tu dois savoir enfin que les paysans de Franqueville ont beaucoup maltraité vôtre château. Sans l’intendant, qui est très malin et très adroit, ils l’eussent brûlé ; mais ils comptent que les terres seront mises en adjudication comme te l’a dit cet avocat, et il n’y aurait pas sûreté pour ta famille et pour toi-même à y retourner de si tôt. Reste donc avec moi, pour voir venir les événements. Si tu allais ailleurs, si tu prenais un parti quelconque sans l’agrément de ton père, il pourrait en être fort mécontent et s’en prendre à moi, au lieu que, s’il te retrouve où il t’a mis et où il te laisse, il ne pourra pas trouver mauvais que tu y acceptes une condition qui t’empêche de mourir de faim.

— Mais quelle sera cette condition ? demanda Émilien. Que ferai-je pour gagner le pain que vous m’offrez de partager avec vous ?

— Tu tiendras mes comptes et tu dirigeras les travaux. Au besoin, tu travailleras toi-même puisque tu aimes le travail du corps. Moi, j’avoue que ce n’est pas mon goût.

Là-dessus, il alla se coucher, et Émilien vint, dès le lendemain matin, me consulter, comme si j’eusse été une personne capable de lui donner un bon conseil. Il me sembla que le prieur avait donné les meilleures raisons et j’engageai mon ami à demeurer près de lui.