Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/110

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servir à faire des canons, il y eut une grande consternation. Une paroisse sans cloches, disait-on, « est une paroisse morte ». Et je pensais comme les autres.

Mais, avant d’arriver à ces temps malheureux où tant de choses surprenantes m’arrivèrent, je veux dire comme nous étions tranquilles, imprévoyants et comme isolés du monde entier, dans notre pauvre Valcreux et dans notre vieux moutier.

Émilien était si modeste en_ _ses goûts, qu’il se croyait riche pour toute sa vie avec ses mille francs. Il les avait confiés à M. Costejoux, qui lui promettait de les faire bien valoir, ce dont Émilien ne prenait aucun souci, car il n’a jamais rien entendu aux affaires ; mais il était bien aise que l’acquéreur qui lui avait témoigné tant de confiance fût nanti de son petit avoir. Il n’avait d’autre soin en l’esprit que de rendre sa petite sœur heureuse, en attendant que leur famille pût s’occuper de leur sort. Il ne voulait rien lui refuser. Il était si fier et si content de l’avoir sauvée ! c’était encore mieux que d’avoir délivré du cachot le père Fructueux. Il n’avait pas de sujet d’inquiétudes, sentant dans M. Costejoux un ami_ _véritable qui ne l’abandonnerait point et pour lequel il travaillait de sa tête comme un commis, et de ses bras comme un ouvrier. Il avait pris un peu d’autorité sur le prieur, qui était aussi colère qu’il était bon et qui, ne pouvant plus crier et gourmander, à cause de son asthme, enrageait d’autant plus pour la moindre vétille. Émilien le raisonnait et m’appelait à son aide, car le pauvre prieur m’écoutait plus volontiers encore et ne se fâchait plus dès que je lui avais promis de faire aller les choses et les gens comme il le voulait. La petite Louise revenait à la santé après