Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/117

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Au mois d’octobre de cette année-là (91), le bruit d’une prochaine guerre se répandit et chacun trembla pour sa nouvelle propriété. Ce n’était plus le temps où l’on disait : « ça m’est égal, tout le monde ne va pas à l’armée et tout le monde n’y meurt pas. » On comprenait cette fois la cause de la guerre : les nobles et le grand clergé de France la voulaient contre la révolution, afin de reprendre ce que la révolution venait de nous donner. Cela mettait le monde en colère, et on se dépêchait de labourer et d’ensemencer. Les jeunes gens disaient que, si l’ennemi venait chez eux, ils se défendraient comme de beaux diables. On avait peur pour ce qu’on avait, mais on sentait quand même du courage pour se battre.

M. Costejoux venait un peu plus souvent et Émilien recommençait à s’informer des choses du dehors. Un jour de novembre, qu’il avait appris la maladie de sa mère, il fut frappé de l’idée qu’il ne reverrait plus aucun de ses parents, car il paraissait certain qu’ils voulaient marcher contre la France et n’y rentrer qu’avec l’ennemi. En causant seul avec moi, comme nous revenions du moulin avec la mule chargée d’un sac de grain marchant devant nous :

— Nanon, me dit-il, ne suis-je pas dans une position bien étrange ? si on déclare la guerre, j’ai toujours dit que je me ferais soldat ; mais, s’il me faut être d’un côté, et mon père de l’autre avec mon frère, comment donc ferai-je ?

— Il n’y faut point aller, lui dis-je ; si vous veniez à être tué, qu’est-ce que votre sœur deviendrait ?

— Costejoux m’a promis de ne pas l’abandonner et de l’emmener chez lui, avec toi si tu y consens ; veux-tu me promettre de ne pas la quitter ?