Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/148

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de me croire et qu’on m’empêche de le prouver, je suis perdu en effet. Eh bien, monsieur, soit ! je suis prêt à mourir. Je suis bien jeune, mais je sens bien que je suis venu dans un temps où l’on ne tient pas à la vie. Je mourrai sans faiblesse, puis-je espérer que ma sœur et mes amis ?…

— Ne parlez pas d’eux, ne prononcez pas leur nom, ne rappelez à personne qu’ils existent. Aucune dénonciation venant de votre commune n’a été faite contre eux. Qu’ils restent où ils sont et se fassent oublier !

— Le conseil que vous me donnez et que je suivrai, n’en doutez pas, me prouve que vous ferez votre possible pour les sauver et je vous en remercie. Je ne vous demande rien pour moi, faites-moi conduire en prison. J’irai avec une seule amertume, celle de voir que vous avez douté de moi.

M. Costejoux paraissait ébranlé. Dumont se jeta à ses pieds, protestant de l’innocence et du patriotisme d’Émilien et suppliant l’ancien ami de le sauver.

— Je ne le puis, répondit M. Costejoux. Songez à vous-même.

— Je n’y songerai pas, merci ! reprit Dumont, je suis un vieux homme ; qu’on fasse de moi ce qu’on voudra, et, puisque vous ne pouvez rien pour mon jeune maître, faites que je sois accusé, enfermé et, s’il le faut, guillotiné avec lui.

— Taisez-vous, malheureux ! s’écria M. Costejoux. Il y a des gens capables de vous prendre au mot.

— Oui, tais-toi, Dumont, dit Émilien en l’embrassant. Tu n’as pas le droit de mourir. Je te fais mon héritier, je te lègue ma sœur !

Et il ajouta en allant tout droit à M. Costejoux :