Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/170

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l’escorte et la voiture des prisonniers. J’avais résolu de la laisser passer si je la voyais avant la diligence, mais l’espoir l’emporta sur la prudence, et j’allai droit à un des cavaliers pour lui demander, avec une feinte simplicité, si c’était la voiture publique pour Châteauroux.

— Sotte que tu es ! répondit-il, tu ne vois pas que c’est le carrosse des aristocrates ?

Je fis semblant de ne pas comprendre.

— Eh bien ! repris-je, est-ce qu’en payant ce qu’il faut, on ne peut pas voyager dessus ou derrière ?

Et j’ajoutai en prenant la bouche de son cheval :

— Ah ! sans moi, votre bête perdait sa gourmette.

Je la rattachai pendant que la voiture passait, ce qui me permit de retenir le cavalier.

— Où vas-tu donc comme cela ? me dit-il.

— Je vas en condition dans un pays que je ne connais pas. Faites- moi donc monter sur votre chariot !

— Tu n’es pas trop laide, toi ! Est-ce que ça te fâche quand on te le dit ?

— Mais non, répondis-je avec une effronterie d’autant mieux jouée que j’y portais plus d’innocence.

Il piqua son cheval et alla dire au conducteur de la voiture d’arrêter. Il échangea quelques mots avec lui, me fit monter sur la banquette qui servait de siège, et je l’entendis qui disait aux autres cavaliers :

— C’est une réquisition !

Et les autres de rire, et moi de trembler.

— N’importe, pensais-je, je suis là, je voyage avec Émilien, je saurai où il va, comment on le traite, et, si ces gens veulent m’insulter, je saurai bien prendre la fuite en quelque endroit