Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/177

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alla au bourg le plus proche pour acheter un âne et des étoffes avec lesquelles, en travaillant la nuit, je me taillai un habillement de garçon. Je pris du linge, des marchandises de rechange et divers objets pour moi, pour Dumont, et surtout pour Émilien qui devait manquer de tout. Nous, nous manquions d’argent. Le prieur, qui, on s’en souvient, avait quelque chose à lui, nous ouvrit sa bourse, où je puisai moins qu’il ne l’eût voulu. Très avare dans les petites choses, il était très généreux dans les grandes. Pendant que je faisais mes préparatifs, Dumont, guidé par mes indications, s’en alla, sans faire semblant de rien, examiner ce pays de Crevant qui m’était resté dans l’esprit comme le meilleur refuge à notre portée, car ce n’était pas tout que de délivrer le prisonnier : on le chercherait, on le dénoncerait, on le livrerait ; il ne fallait plus compter que sur le désert pour échapper aux recherches, et je ne trouvais rien d’assez sauvage dans nos alentours. D’ailleurs, Pamphile les connaissait trop.

Dumont revint me dire que l’endroit indiqué était, en effet, le meilleur possible et qu’il s’y était assuré un gîte pour Émilien en louant à bas prix une masure isolée dans un pays perdu. Ce n’était pas bien loin de chez nous, dix à douze heures de marche. Il ne fallait pas songer, disait-il en soupirant, à y manger du pain et à y boire du vin ; mais on pouvait, avec quelque industrie, s’y soustraire à la famine. Huit jours après mon retour, je repartis de nuit, habillée en garçon, les cheveux coupés et un bon bâton en main. Dumont avait depuis longtemps laissé pousser sa barbe et ses cheveux. Rien ne sentait en lui l’ancien domestique de bonne maison. Il était très avisé, très prudent, très