Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/179

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que si je fusse arrivée d’Amérique. Je passai pour son neveu. Il m’appelait Lucas.

Il s’occupa tout de suite de louer une chambre, et, feignant de les trouver toutes trop chères, il arrêta son logement à deux pas de la prison. C’était un réduit bien misérable, mais nous fûmes contents de le trouver où nous voulions. Il n’y avait qu’une chambre, mais, au-dessus, on nous loua un petit grenier dont nous disions avoir besoin pour notre commerce de paillassons et de paniers, et ce fut là que je m’installai, sûre de n’être troublée et observée par personne.

Dès le lendemain, Dumont, qui approuvait mon désir de ne pas trop faire voir ma figure, alla acheter ce qu’il nous fallait et nous nous mîmes à l’ouvrage. Il était fils d’un vannier et n’avait pas oublié l’état, qu’il connaissait fort bien. Je l’appris vite et nous eûmes bientôt fabriqué de_ _quoi vendre, car il nous fallait un_ _état pour expliquer notre séjour dans la ville. Dumont n’y rencontra que peu de gens de connaissance, qui, l’ayant vu bien payé et bien vêtu au service du marquis de Franqueville, s’étonnaient un peu de le voir réduit à faire des paniers ; mais ces gens le savaient enclin à l’ivresse et supposaient aisément qu’il avait mangé toutes ses économies. Il ne se gênait pas pour dire devant eux tout le mal qu’il pensait de ses anciens maîtres : personne ne se douta qu’il pût s’intéresser à un des membres de la famille, et, quant à moi, Lucas, je fus censé ne les avoir jamais connus.

Notre prudence à cet égard n’était pas aussi nécessaire que_ _nous l’avions jugé d’abord. Les gens que nous étions à même de voir ignoraient les noms des prisonniers amenés, depuis quelques jours, de