Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/194

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— Nanon, me disait-il, nous sommes bénis de Dieu, cela est bien sûr ; mais c’est à cause de toi qui as un si grand cœur et un courage d’homme. Pour moi je ne vaux rien, et j’ai mille fois mérité l’échafaud ! Quand je pense qu’au lieu d’économiser et de pouvoir laisser une petite rente à mon pauvre enfant (il parlait d’Émilien), je me suis comporté comme une brute, buvant tout, oui tout ! Ah ! je suis comme ce prêtre, je suis dégoûté de la vie, et je ne veux plus que tu me parles, si je recommence à m’enivrer.

— Vous ne devez pas craindre cela, lui répondis-je. Vous êtes guéri, car c’était comme une maladie, et c’est votre bon cœur qui vous l’a fait surmonter. Vous avez été mis à l’épreuve, car, pour avoir la confiance de ce geôlier, vous avez été forcé de trinquer souvent et avez si bien veillé sur vous-même, que vous l’avez souvent grisé sans jamais perdre la raison.

— Ah ! c’était difficile, oui, je n’ai jamais rien fait de si difficile et je ne m’en serais jamais cru capable ! mais ça n’empêche pas le passé et je crois bien que j’aurai beau faire, je n’en serai pas moins damné… Oui, Nanon, damné comme un chien !

— Pourquoi voulez-vous que les chiens soient damnés ? lui dis-je en souriant : ils ne font rien de mal. Mais ne vous mettez pas de pareilles idées dans la tête, et marchons plus vite, père Dumont ; la voiture de M. Costejoux va plus vite que nous et il nous faut être au rendez-vous à onze heures.

— Oui, oui, répondit-il, marchons vite. Ça n’empêche pas de causer. Je peux bien t’ouvrir mon cœur. Qu’est-ce qui peut empêcher un honnête homme