Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/202

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ne se disaient pas, et ils s’étonnaient naïvement que le peuple des campagnes fût irrité ou découragé.

Ce malheur général favorisait l’évasion d’Émilien. Les campagnes étaient désertes. Les fougères et les genêts croissant en liberté formaient de grosses touffes entre lesquelles on pouvait dormir sur l’herbe avec plus de sécurité que dans les citadelles. On n’entendait d’autre voix que celles des perdrix rassemblant leur couvée, quelquefois le petit cri plaintif des oiseaux de nuit s’appelant d’un arbre à l’autre. Ces pauvres arbres, rares et chétifs, montraient çà et là leur tête écimée toute ronde ; on eût dit des personnes placées en observation. Mais nos yeux étaient trop exercés pour s’y tromper.

Nous pouvions enfin nous parler sans crainte d’être entendus et sans avoir à lutter contre les difficultés ou les incertitudes du chemin. J’étais sûre d’être dans la bonne direction.

Je demandai à Émilien comment il se faisait que, courant après lui, je m’étais tout à coup trouvée hors de la route avec lui. M. Costejoux, jugeant qu’il y aurait peut-être trop de témoins au relais des Taupins, l’avait fait descendre à peu de distance. Il avait profité du désordre où l’orage mettait sa petite escorte pour lui dire de se glisser dans un fossé et de s’y tenir couché jusqu’à ce que je vinsse le chercher, se promettant de m’avertir au rendez-vous où il pensait me trouver. Ni le postillon ni les cavaliers ne s’étaient aperçu de l’évasion, et il comptait que la nuit se passerait sans qu’ils en eussent le moindre soupçon. Émilien s’était d’abord caché ; mais il avait reconnu mon pas et ma voix, car il paraît que je faisais des exclamations de