Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/239

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

arbres dépouillés, ces troncs si gros et si tourmentés de bosses et de nœuds me faisaient peur avec leurs chevelures de lierre et de mousses. Pourtant je me disais : « Je n’ai jamais rien vu de si grand, et ici la nature est bien au-dessus de l’homme. »

Tels étaient, sinon nos discours que je résume comme je peux, du moins les idées que nous échangions en nous promenant dans cette solitude. Je m’exprime un peu mieux aujourd’hui que je ne m’exprimais peut-être alors, mais je dirai ingénument que je sentais beaucoup d’idées me venir en tête dans cette vie d’isolement exceptionnel, au milieu d’une tourmente qui mûrissait forcément ceux qu’elle atteignait, quelque simples qu’ils fussent. Il y avait dans ce temps-là, des généraux de vingt ans qui faisaient des prodiges. Il pouvait bien y avoir des philosophes de vingt et un ans, comme Émilien, qui raisonnaient largement, et des filles de dix-huit ans, comme moi, qui comprenaient ce qu’elles étaient à même d’entendre.

Nous revînmes, ce jour-là, par le bois de la Bassoule, et, comme nous étions en train d’admirer, nous fûmes frappés de l’étrangeté de ce bois. Il était traversé par un joli ruisseau qui s’arrêtait dans le côté creux et formait un marécage plein de plantes folles : le terrain était si frais et si bon, que tout voulait pousser pêle-mêle. À de grands arbres que le trop d’humidité avait forcés de perdre pied et qui vivaient encore tout couchés à terre, de belles fougères avaient monté sur le corps ; et puis, se trouvant bien là, elles s’étaient ressemées sur les arbres voisins qui étaient encore hauts et droits, elles les avaient couverts jusqu’au faîte et s’y épanouissaient comme des palmiers. Sur