Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/311

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Je ne serai pas fâché de voir comment elle prendra votre mariage avec son frère : pourtant nous n’en dirons rien si vous répugnez à cette confidence.

— Laissez-moi juge de l’opportunité, répondis-je ; il faut voir quel accueil elle va me faire.

Aux approches de Franqueville, je me sentis très émue de voir pour la première fois le pays où mon cher Émilien avait passé son enfance. Je me penchais à la portière pour regarder toutes choses et toutes gens. C’était un pays de collines et de ravins très ressemblant au nôtre ; la vallée où le château était situé avait plus d’ouverture et moins de sauvagerie que celle du moutier. La campagne paraissait plus riche, les habitants plus aisés avaient l’air plus fiers et moins doux.

— Ils ne sont pas très faciles à vivre, me dit M. Costejoux. Ils se passionnent plus que les gens de chez vous pour les choses politiques et ils les comprennent moins. Ils n’ont pas la moitié autant de bon sens, et l’honnêteté n’est pas leur vertu dominante. La faute n’en est point à eux, mais à la mauvaise influence d’un grand château et du contact d’une nombreuse valetaille. Feu le marquis ne s’occupait nullement des rustres de son domaine. Il connaissait davantage les loups et les sangliers de ses forêts. Ses paysans n’étaient guère plus pour lui que ses chiens. Les courtes apparitions qu’il faisait chez lui n’étaient que des parties de chasse et de table, et, bien qu’on détestât le maître, on se réjouissait toujours de le voir, parce qu’il y avait quelque argent à gagner pour sa bonne chère et ses divertissements. Rien ne démoralise plus le paysan que le profit de sa soumission à ce qu’il ne respecte pas. Mais nous arrivons. Ne jugez pas du