Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/325

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’échafaud s’ils fussent tombés dans ses mains ? Il a sauvé Émilien de la mort et il m’a sauvée de la misère ; mais il haïssait mon père et mon frère aîné.

— Non, il haïssait l’émigration.

— Et moi, je l’approuve, l’émigration ! Je n’ai qu’un reproche à faire à mes parents, c’est de ne pas m’avoir emmenée avec eux. Ils m’eussent fait une situation moins brillante, mais plus digne, Ils m’eussent peut-être mariée là-bas selon ma naissance, au lieu que me voilà réduite à recevoir l’aumône.

— Ne dites pas cela, Louise, c’est très mal. Vous savez bien que M. Costejoux ne vous fera jamais une condition de l’épouser.

— Eh bien, c’est ce que je dis ! Je ne l’épouserai pas, et il me faudra accepter ses dons ou mourir de misère. Épouse mon frère, Nanette, il le faut. Tu lui assureras une existence et je te jure que je travaillerai avec vous pour gagner le pain que vous me donnerez. Je reprendrai mes sabots et mon bavolet, et je n’en serai pas plus laide. Je sacrifierai la blancheur de mes mains. Cela vaudra mieux que de sacrifier la fierté de mon rang et mes opinions.

— Quelle que soit votre volonté, ma chère Louise, vous pouvez bien compter qu’elle sera faite si j’épouse votre frère, et vous n’aurez pas à travailler pour gagner votre vie. Il suffira que vous vous contentiez de nos habitudes de paysans ; nous tâcherons même de vous les adoucir, vous le savez bien. Mais vous ne serez point heureuse ainsi.

— Si fait ! tu me crois encore paresseuse et princesse ?

— Ce n’est pas cela : je crois ce que vous m’