Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/353

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madame Costejoux, elle tressaillit, mais ne s’éveilla pas. J’écoutai en retenant mon haleine, on marchait dans la chambre de M. Costejoux ; il ne reposait donc pas ? Avait-il l’habitude de se lever si matin ? En proie à une inquiétude sans but déterminé, mais insurmontable, je m’habillai à la hâte et je descendis sans bruit. Je collai mon oreille contre sa porte. Tout était rentré dans le silence. J’allais remonter, quand j’entendis marcher au rez-de-chaussée. Je redescendis encore jusqu’à la porte du jardin qu’on venait d’ouvrir. Je regardai vers le parc, je vis M. Costejoux qui s’y enfonçait. Je l’y suivis, résolue à l’observer et à le surveiller.

Il marchait à grands pas, faisant des gestes comme un orateur, mais sans parler. J’approchai, il ne s’en aperçut pas ; il m’effraya par son air égaré, ses yeux creusés mais brillants, qui semblaient voir des choses ou des êtres que je ne voyais pas. Était-ce une habitude d’étudier ainsi ses causes, ou un accès de délire ? Il alla jusqu’au fond du parc, qui se terminait en terrasse coupée à pic au-dessus de la petite rivière profondément encaissée, et il continua à gesticuler dans cet endroit dangereux, s’approchant jusqu’au rebord écroulé, comme s’il n’eût pas su où il était. Au risque de l’interrompre dans un travail d’esprit, peut-être salutaire, je le joignis vivement, je lui saisis le bras et le forçai à se retourner.

— Qu’y a-t-il donc ? s’écria-t-il, surpris et comme terrifié ; qui êtes-vous ? que me voulez-vous ?

— Vous dormiez en marchant ? lui dis-je. Vous ne saviez pas où vous étiez ?

— C’est vrai, dit-il, cela m’arrive quelquefois. Ce