Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/38

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— Vous les méprisez donc aussi, vous, vos moines ?

— Je ne les méprise pas, je ne méprise personne. Ils me paraissent très doux et je ne leur ferai pas plus de peine qu’ils ne m’en feront.

— Alors, vous viendrez quelquefois me voir aux champs ?

— Je ne demande pas mieux, je t’apporterai à manger tant que tu voudras.

Je devins rouge de dépit.

— Je n’ai pas besoin que vous me fassiez manger, lui dis-je : j’ai tout ce qu’il faut chez nous et j’aime mieux nos châtaignes que vos pâtés.

— Alors, c’est pour le plaisir de me voir que tu me dis de revenir.

— C’était pour ça ; mais, si vous croyez…

— Je ne crois que ce que tu dis : tu es une bonne petite fille, et puis tu me rappelles ma sœur ; j’aurai du plaisir à te revoir.

Depuis ce jour, nous nous vîmes très souvent. Il avait très bien jugé comment les moines de Valcreux agiraient avec lui ; ils le laissèrent libre d’employer son temps comme il l’entendait et ne lui demandèrent que d’assister à certains offices, ce à quoi il se soumit. Il eut bientôt fait connaissance avec mes deux cousins, et il nous fit rire un jour en nous racontant que le prieur l’avait mandé pour lui dire qu’après avoir réfléchi à son jeune âge, il avait cru devoir prendre le parti de le dispenser des offices de matines.

— Croirez-vous, ajouta Émilien, que j’ai eu la simplicité de le remercier et de lui dire qu’ayant l’habitude de me lever avec le jour, il ne me fâchait point d’assister aux matines ? il a insisté, et moi j’insistais aussi