Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/79

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tout comme un autre. Il me semble très aisé de vivre à ma guise, à présent que le monde m’est ouvert. Je ne me tourmente pas du tout de mon sort. Au besoin, je me ferais soldat, j’ai de l’espérance et de la gaieté plein le cœur. On me laisse ici, j’y reste sans ennui et sans impatience, à présent que j’y ai des amis et que personne ne me méprise plus. Tu vois que tu n’as plus à t’inquiéter de moi. Songe plutôt à toi-même, ne te décourage pas des ennuis que tu auras pour gouverner ton petit bien. Le paysan d’aujourd’hui, vois-tu, est entre deux choses bien différentes : le passé, où beaucoup aimaient mieux souffrir que de s’aider ; l’avenir, où, en s’aidant, il ne souffrira plus. Tu as toujours eu l’idée du courage, puisque c’est toi la première qui me l’a donnée. Conserve-la, c’est la bonne, et, s’il faut doubler ta volonté, double-la plutôt que de retourner dans l’état d’âme malade et abrutie où le servage tient ceux qui l’acceptent.

Je ne sais pas trop en quelles paroles le petit frère me dit toutes ces choses ; je me les rappelle comme je peux, et sans doute il fit effort pour les faire entrer dans mon esprit, mais elles y entrèrent bien et une fois pour toutes ; elles répondaient à l’instinct que j’avais de me bien gouverner dans la vie, et j’en ai fait mon profit, ma vie durant.

Nous retournâmes à la fête, dont le bruit nous attirait. Il était arrivé deux paroisses voisines qui venaient _fraterniser _avec nous, on disait comme cela. Elles avaient amené leurs musettes et pipeaux et planté leurs banderoles auprès de la nôtre, sur la fontaine aux miracles. Jamais Valcreux n’avait vu si belle réjouissance, et, quand vint la nuit, on fit effort pour se quitter. On