Page:Sand - Narcisse, 1884.djvu/121

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

suader que je suis exposée à ce que les autres femmes appellent des dangers. Je ne les connais pas, moi, ces dangers-là ! Ils n’ont pas de sens dans mon esprit. On m’a souvent fait entendre que j’étais bien à plaindre d’être ainsi posée dans la vie ; et moi, je ne me suis jamais désolée de mon sort. Il a ses avantages, et je les réclame. Voyons, n’est-ce pas une véritable force que de se sentir, je ne veux pas dire au-dessus, mais en dehors des passions humaines ? Ne dois-je pas jouir de l’impunité attachée à ma disgrâce ? Ne suis-je pas une sœur de charité, une infirmière, au moral et au physique ? Si j’ai le devoir de ne pas détourner la tête devant les plaies et la corruption, n’ai-je pas aussi le droit de dire : « Rien ne peut me souiller, et ma robe d’innocence est si bien tissue, qu’il n’appartient à aucune fange de s’y attacher ? » Aux autres femmes la pudeur farouche et l’horreur des cadavres ; à moi le courage de voir tous les maux, de panser toutes les blessures, d’assister toutes les agonies ! Savez-vous pourquoi, en dépit de mes inclinations austères, je ne me suis pas arrêtée au projet d’être tout à fait religieuse ? C’est parce que la tâche du cloître m’a semblé trop restreinte, et qu’en dehors de ce petit cercle de dévouements journaliers, où l’on tourne toujours sur soi-même, je voyais, dans la liberté, une suite de dévouements imprévus dont la limite n’était pas posée à mon aspiration. Ne comprenez-vous pas que j’étouffe parfois