Page:Sand - Narcisse, 1884.djvu/233

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» Pardon, monsieur, pardon ! ajouta-t-il, en voyant que j’allais répliquer avec vivacité. Je ne dis pas cela pour vous… et, quand j’aurais de l’humeur, n’est-ce pas naturel ? Ce qui doit nous préoccuper avant tout, n’est-ce pas l’avenir de cette femme, qui aime sans espoir depuis si longtemps, depuis dix ans peut-être, et à qui, pour toute consolation, au moment où j’étais forcé de la quitter pour toujours, vous présentez une coupe de fiel et d’amertume ? Croyez-vous que le dépit et la dissimulation soient un baume sur une plaie ? Non ! c’est du poison que vous y mettez, et j’ose vous le dire : prenez garde à ce que vous faites ! Peut-être, en la voyant souffrir sans remède et finir sa jeunesse dans un morne silence, regretterez-vous amèrement de n’avoir pas mieux deviné à quelle fleur délicate, à quelle mystérieuse sensitive vous aviez affaire !

Albany continua sur ce thème, et, le développant avec animation, il me réduisit un peu au silence. Je n’avais jamais été bien tranquille sur le compte de Juliette, et j’avoue que j’eus très-grand’peur d’avoir fait fausse route. Pourtant, je ne pouvais me résoudre à encourager les prétentions d’un homme qui me paraissait, sinon indigne, du moins pas assez digne d’elle. Il vit que je me méfiais beaucoup de lui.

— Vous croyez, dit-il, que j’ai toujours eu l’ambition d’épouser la fortune, et que, maintenant, j’improvise cet