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Gouvre, où, pour la première fois, quinze mois auparavant, elle nous avait donné rendez-vous. On prit un âne pour les deux enfants, dont les petits pieds étaient las de trotter, et nous remontâmes le torrent jusqu’au carrefour de gros rochers où nous avions reçu les confidences de notre amie.

Le ravin était presque impraticable, et pourtant Juliette le suivit à pied avec intrépidité. C’est pour le coup qu’elle me sembla avoir des ailes, et que je me demandai comment, sans nulle attention et nul effort apparents, elle voltigeait ainsi sur les roches glissantes, sans même accrocher son vêtement aux ronces du sentier.

Le spectacle que nous offrit le lit encaissé de la Gouvre valait bien, du reste, la peine que nous prîmes pour l’explorer. Les mille ruisseaux qui descendent brusquement des flancs du rocher étaient devenus des cascatelles de cristal solide, et les eaux torrentielles de la petite rivière luttant encore en beaucoup d’endroits contre la glace, c’était une chose curieuse et frappante que cette agonie du mouvement, qui achevait de se tordre et de gronder sous la main lourde et pétrifiée de l’hiver.

Au retour, nous eûmes à doubler le pas ; le jour baissait rapidement, et il fallait sortir avant la nuit de ces sentiers difficiles et périlleux. Quand nous fûmes auprès du feu pétillant, dans la grande salle à manger du manoir, je fus frappé de la beauté surnaturelle de Juliette.