Page:Sand - Narcisse, 1884.djvu/47

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qu’elle soit tombée de si haut ! J’en suis tout étourdi, comme si j’étais tombé moi-même du faîte d’une maison ! Mais que faire à cela ? Si Dieu ne l’a pas préservée, personne ne pourra lui porter secours.

— Alors, répondis-je, puisque vous êtes son ami d’enfance, vous avez au moins le droit de la plaindre et le devoir de la défendre, si sa faute est divulguée.

— La plaindre, oui, je la plains ! Mais la défendre, comment ferais-je ? Est-ce possible, après ce que nous avons vu ?

Narcisse était, malgré sa grande raison et son bon cœur, l’homme de sa petite ville, en ce sens qu’il craignait de devenir ridicule et même un peu immoral aux yeux de ses concitoyens, s’il cherchait à excuser une chose honteuse ou à nier un fait avéré.

Je lui fis observer que ce fait pouvait bien n’être ni avéré ni honteux. Que savions-nous, après tout, de l’étrange roman dont nous venions de voir, sans le comprendre, un mystérieux chapitre ? Pas la moindre familiarité n’avait été échangée entre ces deux personnages qui se croyaient si seuls. N’était-il pas possible que l’artiste endetté et livré au désordre eût réussi, à la suite de je ne sais quels hasards et de quelles rencontres imprévues, à exploiter la pitié et la charité d’une sainte fille, ignorante de la vie réelle, et chaste au point de ne rien craindre pour elle-même d’un pareil contact ?