Page:Sand - Narcisse, 1884.djvu/90

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ment au monde, de ne pas laisser dans votre opinion une tache sur ma conduite.

— Eh ! mon Dieu, nous savons bien que vous ne pouvez rien avoir de mauvais à vous reprocher ; nous avons craint seulement une amitié dangereuse…

— Eh bien, s’il en est ainsi, reprit-elle, vous me donnerez un bon conseil.

Et elle essaya de lire ; mais elle était trop émue intérieurement. La voix lui manqua dès les premières lignes.

— Tenez, me dit mademoiselle d’Estorade, je suis oppressée et sottement timide. Mon écriture n’est pas difficile à lire. Voulez-vous bien vous en charger ?

Je pris le manuscrit et lus ce qui suit :

« J’ai peu connu mon père. Il était bon et rude. Ma mère le craignait et le chérissait. Elle était frêle et douce, charitable et sainte. Elle m’éleva dans une piété ardente, mais toujours elle me prêcha l’indulgence pour les autres. Ses derniers entretiens avec moi furent pour me recommander de me préserver des passions.

» — Je les ai connues pour mon malheur, dit-elle. J’ai été éprise et jalouse de ton père. Je lui ai, par là, causé des chagrins que j’eusse pu lui épargner, et qui ont peut-être hâté sa mort ; car il était irritable et supportait avec une impatience douloureuse mes pleurs et mes injustices. Quant à moi, le chagrin et le remords ont certainement hâté le cours de ma vie. Dieu me par-