Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/130

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

supérieurs étaient ceux de sa femme. La mère D… fut un peu effrayée de cette démarche ; Pauline, qui la comprit fort bien, en fut inquiète et blessée ; Laurence ne fit qu’en rire, et, s’adressant au maire, elle l’appela par son nom, lui demanda des nouvelles de toutes les personnes de sa famille et de son intimité, lui nommant avec une merveilleuse mémoire jusqu’au plus petit de ses enfants, l’intrigua pendant un quart d’heure, et finit par s’en faire reconnaître. Elle fut si aimable et si jolie dans ce badinage, que le bon maire en tomba amoureux comme un fou, voulut lui baiser la main, et ne se retira que lorsque madame D… et Pauline lui eurent promis de le faire dîner chez elles ce même jour avec la belle actrice de la capitale. Le dîner fut fort gai. Laurence essaya de se débarrasser des impressions tristes qu’elle avait reçues, et voulut récompenser l’aveugle du sacrifice qu’elle lui faisait de ses préjugés en lui donnant quelques heures d’enjouement. Elle raconta mille historiettes plaisantes sur ses voyages en province, et même, au dessert, elle consentit à réciter à M. le maire des tirades de vers classiques qui le jetèrent dans un délire d’enthousiasme dont madame la mairesse eût été sans doute fort effrayée. Jamais l’aveugle ne s’était autant amusée : Pauline était singulièrement agitée ; elle s’étonnait de se sentir triste au milieu de sa joie. Laurence, tout en voulant divertir les autres, avait fini par se divertir elle-même. Elle se croyait rajeunie de dix ans en se retrouvant dans ce monde de ses souvenirs, où elle croyait parfois être encore en rêve.

On était passé de la salle à manger au salon, et on achevait de prendre le café, lorsqu’un bruit de socques dans l’escalier annonça l’approche d’une visite. C’était la femme du maire, qui, ne pouvant résister plus longtemps à sa curiosité, venait adroitement et comme par