Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/142

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voulait justifier l’empressement qu’il avait mis à la voir en grandissant la réputation de l’actrice, ou du moins en ouvrant de plus en plus les yeux sur son mérite réel. Peu à peu on en vint à se disputer l’honneur de lui avoir parlé le premier, et ceux qui n’avaient pu se résoudre à l’aller voir prétendirent qu’ils y avaient fortement poussé les autres. Cette année-là, une diligence fut établie de Saint-Front à Mont-Laurent, et plusieurs personnages importants de la ville (de ces gens qui possèdent quinze mille francs de rente au soleil, et qui ne se déplacent pas aisément, parce que, sans eux, à les entendre, le pays retomberait dans la barbarie) se risquèrent enfin à faire le voyage de la capitale. Ils revinrent tous remplis de la gloire de Laurence, et fiers d’avoir pu dire à leurs voisins du balcon ou de la première galerie, au moment où la salle croulait, comme on dit, sous les applaudissements :

— Monsieur, cette grande actrice a longtemps habité la ville que j’habite. C’était l’amie intime de ma femme. Elle dînait quasi tous les jours à la maison. Oh ! nous avions bien deviné son talent ! Je vous assure que, quand elle nous récitait des vers, nous nous disions entre nous : « Voilà une jeune personne qui peut aller loin ! »

Puis, quand ces personnes furent de retour à Saint-Front, elles racontèrent avec orgueil qu’elles avaient été rendre leurs devoirs à la grande actrice, qu’elles avaient dîné à sa table, qu’elles avaient passé la soirée dans son magnifique salon… Ah ! quel salon ! quels meubles ! quels peintures ! et quelle société amusante et honorable ! des artistes, des députés ; monsieur un tel, le peintre de portraits ; madame une telle, la cantatrice ; et puis des glaces, et puis de la musique… Que sais-je ? la tête en tournait à tous ceux qui entendaient ces beaux récits, et chacun de s’écrier :