Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/203

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éventail ou ses plumes. Elle était, d’ailleurs, bonne, obligeante, généreuse jusqu’à la prodigalité, romanesque, superstitieuse, crédule et faible. Sa bourse avait été exploitée par plus d’un charlatan, et son cortège avait été grossi de plus d’un chevalier d’industrie. Mais sa vertu était sortie pure de ces dangers, grâce à une froideur excessive d’organisation que les puérilités de la coquetterie avaient fait passer à l’état de maladie chronique.

Ser Zacomo Spada était, sans contredit, le plus riche et le plus estimable marchand de soieries qu’il y eût dans Venise. C’était un de ces véritables amphibies qui préfèrent leur île de pierre au reste du monde, qu’ils n’ont jamais vu, et qui croiraient manquer à l’amour et au respect qu’ils lui doivent s’ils cherchaient à acquérir la moindre connaissance de ce qui existe au delà. Celui-ci se vantait de n’avoir jamais mis le pied en terre ferme et de ne s’être jamais assis dans un carrosse. Il possédait tous les secrets de son commerce et savait au juste quel îlot de l’Archipel ou quel canton de la Calabre élevait les plus beaux mûriers et filait les meilleures soies. Mais là se bornaient absolument ses notions sur l’histoire naturelle terrestre. Il ne connaissait de quadrupèdes que les chiens et les chats, et n’avait vu de bœuf que coupé par morceaux dans le bateau du boucher. Il avait des chevaux une idée fort incertaine, pour en avoir vu deux fois dans sa vie, à de certaines solennités où, pour divertir et surprendre le peuple, le sénat avait permis à des troupes de bateleurs d’en amener quelques-uns sur le quai des Esclavons. Mais ils étaient si bizarrement et si pompeusement enharnachés, que ser Zacomo et beaucoup d’autres avaient pu penser que leurs crins étaient naturellement tressés et mêlés de fils d’or et d’argent. Quant aux touffes de plumes rouges et blanches dont on les avait couronnés, il était