Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/28

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tion avec les mœurs du temps. Soyez sûr qu’ils faisaient dès lors un grand scandale ; et, lorsque vous entendez parler d’horribles dépravations, du duc de Guiche et de Manicamp, de madame de Lionne et de sa fille, vous pouvez être assuré que ces choses-là étaient aussi révoltantes au temps où elles se passèrent qu’au temps où vous les lisez. Croyez-vous donc que ceux dont la plume indignée vous les a transmises fussent les seuls honnêtes gens de France ?

Je n’osais point contredire la marquise. Je ne sais lequel de nous deux était compétent pour juger la question. Je la ramenai à son histoire, qu’elle reprit ainsi :

— Pour vous prouver combien peu cela était toléré, je vous dirai que, la première fois que je le vis et que j’exprimai mon admiration à la comtesse de Ferrières, qui se trouvait auprès de moi, elle me répondit :

« — Ma toute belle, vous ferez bien de ne pas dire votre avis si chaudement devant une autre que moi ; on vous raillerait cruellement si l’on vous soupçonnait d’oublier qu’aux yeux d’une femme bien née un comédien ne peut pas être un homme.

» Cette parole de madame de Ferrières me resta dans l’esprit, je ne sais pourquoi. Dans la situation où j’étais, ce ton de mépris me paraissait absurde ; et cette crainte que je ne vinsse à me compromettre par mon admiration semblait une hypocrite méchanceté.

» Il s’appelait Lélio, était Italien de naissance, mais parlait admirablement le français. Il pouvait bien avoir trente-cinq ans, quoique, sur la scène, il parût souvent n’en avoir pas vingt. Il jouait mieux Corneille que Racine ; mais dans l’un et dans l’autre il était inimitable.

— Je m’étonne, dis-je en interrompant la marquise, que son nom ne soit pas resté dans les annales du talent dramatique.