Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/318

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mon cœur n’est pas coupable, et cependant je rougis comme si j’allais paraître devant un confesseur. Il y a plusieurs jours que je veux vous écrire. J’ai fait plus de dix lettres que j’ai toutes déchirées ; enfin je me décide ; soyez indulgente pour moi, et, si vous me trouvez imprudente et blâmable, reprenez-moi doucement.

» Je vous ai parlé d’un jeune homme qui demeure ici avec nous, et qui est le fils adoptif de ma tante. La première fois que je le vis, c’était le jour de mon arrivée, je fus tellement troublée, que je n’osai pas le regarder. Je ne sais pas ce qui se passa en moi lorsqu’il entra à demi dans la calèche pour baiser les mains de ma tante ; il le fit avec tant de tendresse, que je me sentis tout émue, et que je compris tout de suite la bonté de son cœur ; mais il se passa plus de six mois avant que je connusse sa figure, car je n’osai jamais le regarder autrement que de profil. Ma tante m’avait dit : « Sarah, regardez Olivier comme votre frère. » Je me livrai donc à une joie intérieure que je croyais très-légitime. Il me semblait doux d’avoir un frère ; et, s’il m’eût traitée tout de suite comme sa sœur, peut-être n’aurais-je jamais songé à l’aimer autrement !… Hélas ! vous voyez quel est mon malheur, Fanny ; j’aime, et je crois que je ne serai jamais unie à celui que j’aime. Pour vous dire comment j’ai eu l’imprudence d’aimer ce jeune homme, je ne le puis pas ; en vérité, je n’en sais rien moi-même, et c’est une bien affreuse fatalité. Imaginez-vous qu’au lieu de me parler avec la confiance et l’abandon d’un frère, il a passé plus d’un an sans m’adresser plus de trois paroles par jour ; si bien que je crois que tous nos entretiens, durant tout ce temps-là, tiendraient à l’aise dans une page d’écriture. J’attribuais cette froideur à sa timidité ; mais, le croiriez-vous ? il m’a avoué depuis qu’il avait pour moi une espèce d’antipathie avant de