Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/361

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On eût dit un soleil à demi éteint se levant pour la dernière fois sur un monde prêt à rentrer dans le chaos. Cette lune mate et sanglante avait quelque chose d’effrayant pour une âme remplie d’amour et, par conséquent, de superstitions.

Melchior pensa à Dieu. Il ne se demanda plus s’il existait ; il en avait trop besoin pour en douter ; il le conjura de le proléger, de sauver Jenny…

Un léger bruit lui fit lever la tête ; en se retournant, il vit au-dessus de lui comme une ombre diaphane qui semblait voltiger sur la rampe du navire ; c’était Jenny qui se hasardait, imprudente et folâtre, à rejoindre son fugitif. Le vent faisait claqueter sa robe blanche et collait autour de ses jambes fines et rondes les larges plis de son pantalon.

— Allez-vous-en, Jenny, cria Melchior avec un ton d’autorité. Vous allez tomber à la mer, vous êtes une folle !…

— Si vous me croyez si maladroite, répondit-elle, donnez-moi la main.

— Je ne vous la donnerai point, reprit-il avec humeur ; les femmes ne viennent point ici ; c’est contre ma consigne.

— Vous mentez, Melchior !

— Un coup de vent peut vous jeter à la mer.

— Et si j’y tombais, ne sauriez-vous pas me sauver ?

Et, se laissant mollement bercer par toutes les ondulations que la houle imprimait au navire, Jenny, soit par coquetterie, soit pour se divertir de l’effroi de Melchior, restait là comme une jeune mouette perchée dans les cordages.

— Je ne vous sauverais peut-être pas, Jenny ; mais, à coup sûr, je périrais avec vous !

— Puisque c’est pour vous-même que vous tremblez, je vais faire cesser votre anxiété.