Page:Sand - Nouvelles (1867).djvu/39

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sur moi. Quand je fus sortie, il me sembla qu’on me suivait. Je cherchai vainement un fiacre pour m’y jeter, il n’y en avait plus devant la Comédie. Des pas lourds se faisaient entendre toujours sur les miens. Je me retournai en tremblant ; je vis un grand escogriffe que j’avais remarqué dans un coin du café, et qui avait bien l’air d’un mouchard ou de quelque chose de pis. Il me parla ; je ne sais pas ce qu’il me dit, la frayeur m’ôtait l’intelligence ; cependant j’eus assez de présence d’esprit pour m’en débarrasser. Transformée tout d’un coup en héroïne par ce courage que donne la peur, je lui allongeai rapidement un coup de canne dans la figure, et, jetant aussitôt la canne pour mieux courir, tandis qu’il restait étourdi de mon audace, je pris ma course, légère comme un trait, et ne m’arrêtai que chez Florence. Quand je m’éveillai le lendemain à midi dans mon lit à rideaux ouatés et à chapiteaux de plumes roses, je crus avoir fait un rêve, et j’éprouvai de ma déception et de mon aventure de la veille une grande mortification. Je me crus sérieusement guérie de mon amour, et j’essayai de m’en féliciter ; mais ce fut en vain. J’en éprouvais un regret mortel ; l’ennui retombait sur ma vie, tout se désenchantait. Ce jour-là, je mis Larrieux à la porte.

» Le soir arriva et ne m’apporta plus ces agitations bienfaisantes des autres soirs. Le monde me sembla insipide. J’allai à l’église ; j’écoutai la conférence, résolue à me faire dévote ; je m’y enrhumai : j’en revins malade.

» Je gardai le lit plusieurs jours. La comtesse de Ferrières vint me voir, m’assura que je n’avais point de fièvre, que le lit me rendait malade, qu’il fallait me distraire, sortir, aller à la Comédie. Je crois qu’elle avait des vues sur Larrieux, et qu’elle voulait ma mort.