Page:Sand - Nouvelles Lettres d un voyageur.djvu/134

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espace que tes pas vont franchir, car tu es tenté de t’élancer à la limite de ton vallon pour mieux voir. — Ne le fais pas, ce serait beau encore, mais d’un beau réaliste, et tu perdrais le ravissement de cet aspect composé de trois choses immaculées, la végétation, la mer, les glaciers. Le sol, cette chose dure qui porte tant de choses tristes, est noyé ici pour les yeux sous le revêtement splendide des choses les plus pures. On peut se persuader qu’on est entré dans le paradis des poëtes… Pas une plante qui souffre, pas un arbre mutilé, pas une fortification, pas une enceinte, pas une cabane, pas une barque, aucun souvenir de l’effort humain, de l’humaine misère ni de l’humaine défiance. Les arbres de tous les climats semblent s’être donné rendez-vous d’eux-mêmes sur ce tertre privilégié pour l’enfermer dans une fraîche couronne, et ne laisser apparaître à ceux qui l’habitent que les régions supérieures où semblent régner l’incommensurable et l’inaccessible.

Le créateur de ce beau jardin a-t-il eu conscience de ce qu’il entreprenait ? A-t-il vu dans sa pensée, lorsqu’il en a tracé le plan, le spectacle étrange et unique au monde qu’il offrirait