Page:Sand - Nouvelles Lettres d un voyageur.djvu/137

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et s’en exila probablement de lui-même le jour où l’esprit de liberté le fit homme. Quelle irrésistible et décevante fascination ces Alpes et ces mers, vues ainsi sans intermédiaire matériel, doivent exercer sur l’âme ! Comme on oublierait volontiers que le mal et la douleur habitent la terre, et que la mort sévit jusque sur ces hauteurs sereines où l’on rêve la permanence et l’éternité ! Le son de la voix humaine arriverait ici comme une fausse note. Le désir de peindre, le besoin d’exprimer, s’évanouiraient comme des velléités puériles. Le sentiment des relations sociales s’éteindrait, et la démence vous ferait payer cher quelques années d’un bonheur égoïste.

Voilà pourquoi j’arrive à comprendre ceux qui viennent sur ces rivages admirables pour ne rien voir et ne rien sentir, ou pour voir mal et sentir à faux. S’ils étaient bien pénétrés de la grandeur qui les environne, ils n’oseraient pas vivre, ils ne le pourraient pas. Arrachons-nous au ravissement qui paralyse, et soyons plutôt bêtes qu’égoïstes. Acceptons la vie comme elle est, la terre comme l’homme l’a faite. Le cruel, l’insensé ! il l’a bien gâtée, et des artistes ont