Page:Sand - Pierre qui roule.djvu/262

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sa tendresse pour ses compagnons de bohème était à leur adresse et non à la mienne.

Moranbois avait eu raison. Elle n’aimerait jamais personne ; sage et froide comme son talent, elle avait besoin du cabotinage pour se dégeler un peu et ne pas s’ennuyer de sa propre raison. Ce n’est pas l’art qu’elle aimait, c’était le mouvement et la distraction nécessaires à son tempérament craintif et glacé.

Quelle lubie, quelle monomanie m’avait donc poussé vers elle ? Pourquoi avais-je dédaigné cette inconnue, qui ne craignait pas de se faire connaître jusqu’au fond de l’âme ? J’avais le cœur entier, je possédais le secret enivrant d’une femme invisible dont je ne savais pas le nom ; la véritable inconnue, c’était la camarade qui me tutoyait dans l’animation de nos études journalières, et qui, pour cacher le vide effrayant de son cœur, avait inventé un amour mystérieux qu’elle n’éprouvait pas.

Sans hésiter, sans réfléchir, et tout entier à mon premier mouvement, je pris deux feuilles de papier, j’écrivis sur l’une : Portez-vous bien ! sur l’autre : Je vous adore ! Je mis le nom d’Impéria sur la première ; j’écrivis sur la seconde : À l’inconnue, et