Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/368

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de donner corps à une pensée qui vient de plus haut que lui. Les pensées, en effet, les idées, si l’on veut, sont dans tout ce qui constitue la vie intellectuelle d’un peuple ; elles viennent de lui, elles viennent aussi de Dieu ; elles sont le besoin impérieux d’un nouveau mode d’existence dont les manifestations attendent la consécration de la science ou de l’art. Victor Hugo fut dès sa jeunesse un grand consécrateur, très-naïf, très-croyant à son but et très-confiant en lui-même. Cette absence de doute fit sa force. Il imposa sa fantaisie, et elle fit loi pour la jeunesse. On s’étonne aujourd’hui de l’importance que prit ce combat et de l’animosité que rencontra le jeune poëte. En racontant toutes les péripéties de ce drame littéraire, madame Hugo, — nous la devinons et nous la nommons au risque de lui désobéir, — nous remet sous les yeux tout un monde de faits qui sont déjà assez loin pour étonner les jeunes gens d’aujourd’hui, mais qui pourtant expliquent admirablement les causes et les effets de la croisade anti-classique. C’était le temps où certain vocabulaire consacré prétendait exclure tout sentiment individuel, bien plus, toute simplicité dans le sentiment général. C’était le temps où la romance exprimait ainsi l’effet du clair de lune :

L’astre des nuits, dans son paisible éclat.
Darde ses feux…

Et ainsi du reste, car aucune chose ne s’appelait plus par son nom, sous peine de grossièreté, et les sentiments étaient aussi pompeux et aussi glacés que la parole dans cet art officiel qui prétendait être un dogme indiscutable. Or, on sait à quelle intolérance