Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/142

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dans les lettres à la seconde moitié du dix-neuvième siècle.

M. A. — Cette remarque ne m’avait pas encore frappé, quoiqu’elle soit bien facile à faire. En effet, Montaigne, Ronsard, Malherbe, Descartes, Balzac, la Fontaine, Corneille, Molière, Bossuet, Fénelon, Boileau, Racine, Montesquieu, Buffon, Voltaire, appartenaient tous, par la naissance, soit à la noblesse, soit à la riche bourgeoisie. Jean-Jacques est réellement le premier penseur ou écrivain sorti du peuple.

M. Z. — Et combien n’a-t-il pas eu de peine à en sortir !

M. A. — Mais c’est précisément là ce que j’allais vous objecter. On conçoit que le peuple, étant de tout temps en possession des métiers, produise des artistes remarquables dans les arts qui ont ces métiers pour support. Il y a plus ; lui seul peut fournir, sauf de bien rares exceptions, des génies dans des professions inséparables d’un métier ; car lui seul exerce ces métiers. C’est son lot, il est dur ; mais les arts proprement dits deviennent, par compensation, son privilège. Vous demandez au peuple des maisons ; une fois en train, il vous fait des palais et des temples. Il est comme la nature ; il ne lui coûte pas plus, étant forcé de manier le ciseau ou la truelle, de faire du grand et du beau que du mesquin et du laid. Mais il n’en est pas ainsi de la littérature, qui exige du loisir, de la réflexion, et qui n’a pour support aucun métier matériel. Pendant que le peuple est occupé de ses métiers, comment voulez-vous qu’il se livre à cet art difficile qui n’a pour expression que la parole ou l’écriture ?

M. Z. — L’avenir donnera peut-être aux serfs de l’industrie un peu de ce loisir nécessaire, afin qu’a-