Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/148

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Voltaire était un jour entrain de déclamer contre Jean-Jacques, prétendant qu’on devrait le chasser de Genève, de Lausanne, et de toute la terre : — Ah ! mon Dieu, s’écrie quelqu’un, soit par erreur de sa vue, soit pour éprouver Voltaire, voilà justement M. Rousseau qui entre dans votre cour. — Ah ! le malheureux ! s’écrie Voltaire avec impétuosité : ils l’auront encore chassé de Lausanne ! Où est-il ? qu’il entre ! Mes bras, mon cœur, et ma maison lui sont ouverts ! — Tel était le grand Voltaire, faible, rancuneux, plein d’injustices, de vanités, et de précipitation ; il n’était ni dur, ni vindicatif, ni orgueilleux. Le fond de son cœur était généreux et humain, comme le fond de son intelligence était ferme et lumineux.


    écrit à Catherine II, pendant notre grande révolution, qu’il faudrait établir un cordon sanitaire autour de la France, et mille autres hérésies. Mais ce que M. Z. dit plus loin à M. A., qu’il faut juger une vie à distance par l’ensemble et non par le détail, il faut l’appliquer au prince de Ligne. Ses actions, on devrait dire ses occupations (car l’action n’est ni libre ni volontaire dans certaines phases de la société), furent ce qu’elles pouvaient être. Mais une bonté sans éi.’ale et une équité supérieure se retrouvent dans cet écrivain frivole, sérieux lorsqu’il est seul avec sa conscience et son instinct. Ses Pensées sont un monument de quelques pages dont la philosophie s’inspire des plus pures lumières de l’âme. Une de ces pages, sur la Justice des jugements, est plus grande que tout Montesquieu. Mais il se passera bien du temps avant que ce que je dis là ne semble pas un impertinent paradoxe, je le sais de reste. Toujours est-il que sa manière de lire dans les yeux de Rousseau et dans le cœur de Voltaire, aussi brièvement dite que rapidement conçue, est une peinture noble autant que saisissante et vraie. Je pense que madame de Staël ne se trompait pas dans l’admiration et l’affection qu’elle lui portait.