Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/172

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bles qui surgirent de 1830 à 1840, Reboul, Hégésippe Moreau, s’inspirèrent d’eux-mêmes, de Béranger, encore, ou de M. de Lamartine, dont la forme lyrique avait, dans sa suavité, plus de chances que les autres innovations pour devenir populaire.

Et puis, tout d’un coup, dix, quinze, vingt et trente poëtes ouvriers se sont mis à écrire et à chanter sur tous les points de la France, et jusque dans les tristes rues de Paris. On s’étonna du premier et du second ; et puis il en vint tant qu’on ne les compta plus, et que certaines gens, ennemis, non du peuple, mais du changement, et par conséquent du progrès, par nature et par position, se bouchèrent les oreilles, en décrétant que cela devait faire de mauvais poëtes ou de mauvais ouvriers. Les journaux conservateurs dénigrèrent surtout certaine pléiade prolétaire que M. Olinde Rodrigue eut le courage de faire connaître, en publiant un volume de poésies d’ouvriers, sous le titre un peu ambitieux, mais juste au fond, de Poésies sociales.

Sans doute ces chants prolétaires n’étaient pas exempts de défauts ; l’inexpérience s’y faisait sentir ; une certaine rudesse d’expression, énergique stigmate de l’indignation populaire, y paraissait souvent, et révoltait à bon droit les nerfs délicats de l’élégante critique. Mais la bourgeoisie ne s’en émut pas autant que le lui conseillaient ses lettrés. Bon nombre de bourgeois avouèrent naïvement qu’ils n’eussent pas fait si bien ; et se rappelant les habitudes et le langage de leur enfance, cette classe, récemment émancipée, qui n’est pas toute corrompue, ne se joignit pas à la presse aristocratique pour conspuer les pauvres poëtes de l’échoppe et de l’atelier. Leur livre passa donc, sans