Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/237

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l’esprit étant juste, le cœur était froid, sceptique ou haineux. Mais comme cette comédie de l’Aventurière est bonne, très-bonne, très-attachante et très-salutaire à entendre, apparemment l’auteur a beaucoup de cœur et de moralité. Nous ne le connaissons pas, mais nous sommes sûrs de lui. Nous ne lui dirons pas, avec ce ton paternel et pédant de la critique brevetée : « Continuez dans cette voie, mon cher monsieur, nous vous conseillons de vous y tenir. Ne vous en détournez pas, et vous aurez notre estime. » Non, nous ne lui dirons pas de ces choses-là ; nous ne lui prescrirons et ne lui conseillerons rien. Nous sommes très-nouveaux et très-naïfs dans le métier de critiques, et nous ne chercherons pas à en faire accroire. Nous sommes très-contents et très-attendris, et nous voyons bien qu’un homme de cœur et de talent ira droit son chemin sans notre protection. Nous ne conseillons qu’une chose, c’est au public d’aller voir sa pièce, d’autant plus qu’elle est admirablement jouée. Samson y est, comme toujours, un véritable maître. Régnier y développe un talent supérieur, et qui le place désormais au premier rang des comiques. Sa scène d’ivresse est d’une vérité incomparable. L’acteur a compris cette scène comme l’auteur, c’est-à-dire qu’il a été aussi loin qu’on peut aller dans le réel et le bouffon, sans jamais outre-passer la mesure du goût de l’épaisseur d’un cheveu. La mesure ! tout l’art est là ; tirer du sujet tout ce qu’il comporte, n’en rien perdre, n’en rien négliger, et ne jamais faire dire, c’est trop ! Il y a des artistes remarquables, des génies même, qui se perdent pour ne pas voir ce mince cheveu dont nous parlons, ce cheveu qui sépare le sublime du ridicule, le naïf du niais, le gracieux du maniéré, le plaisant du grotesque.