Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/24

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habituée aux charmantes minauderies de l’éventail, serait une comtesse plus convenable, et que madame Dorval, douée d’un talent plus incisif et d’une imagination plus jeune, serait une Suzanne plus piquante. Mais à l’intelligence de madame Dorval, l’étude et la règle sont des lisières trop courtes. L’inspiration lui révèle tout ce que l’enseignement donne aux autres. Il a semblé qu’en revêtant les nobles et frais atours de la châtelaine, en traînant la robe à queue, solennel caractère de certains rôles, dans les traditions du théâtre, elle se soit sentie investir de l’orgueil du rang sans dépouiller cependant les entraînements du cœur. Les personnes d’un jugement délicat et d’une observation éclairée ont remarqué tout ce qu’elle a su établir de nuances dans ce peu de scènes, ingrat et incomplet moyen de développement pour la puissance de son âme. Ces personnes ont néanmoins eu le temps de s’intéresser, de s’attacher à cette femme mélancolique et fine, encore brisée par les chagrins d’un amour mal payé, déjà ranimée par les vives impressions d’un amour nouveau, nonchalante au dehors, passionnée au dedans ; à cette femme incertaine, effrayée, entraînée, que l’avenir et le passé se disputent, qui lutte contre sa raison et contre son cœur, à cette femme enfin qui a tant de répugnance et tant d’adresse à mentir, parce qu’elle se sent comtesse, et parce qu’elle se souvient d’avoir été Rosine. On a compris tout cela dans ce peu de temps, parce que, en lisant Beaumarchais, madame Dorval en a tout à coup saisi la pensée intime.

Ces mêmes personnes ont songé à établir un parallèle entre madame Dorval et mademoiselle Mars, et nous avons entendu raisonner, avec l’impartialité que