Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/250

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» Je pris dès lors la vie et la vertu au sérieux. Plus tard j’eus encore quelques accès de doutes et de trouble, mais grâce à ces grands modèles de l’humanité que nous pouvons invoquer, depuis Marc-Aurèle jusqu’à Fénelon, depuis Socrate jusqu’à Saint-Vincent-de-Paul, j’ai toujours ramené ma vie au bien et au vrai. »

Ce que Gilland m’a confié de sa vie intime et des affections de son cœur est aussi pur et aussi bon que sa vie intellectuelle. J’ai été frappé d’une circonstance particulière. C’est qu’il a aimé une femme égarée et qu’il a voulu la réhabiliter par son amour. Ce sentiment où la passion prend la forme de la charité chrétienne, et se sanctifie en proportion de la dégradation de son objet, a traversé le cœur de plusieurs hommes de ce temps-ci, et y a laissé une trace de douloureuse pitié. Tous n’ont pas eu le bonheur d’arracher au mal la malheureuse proie de la corruption sociale, mais, du moins, presque tous ceux qui l’ont tenté sérieusement étaient, à ma connaissance, des hommes d’élite, soit par le cœur, soit par l’esprit. Gilland échoua dans sa généreuse entreprise.

« Je venais, dit-il, d’échapper à la conscription, J’étais libre. J’aurais voulu me marier avec cette femme pour la retirer de l’abîme, la sauver d’une vie de turpitude, car elle ne faisait que de commencer. Elle était si jeune, si frêle ! en la regardant, il me semblait lire dans son âme le remords et le désespoir. Je voulais lui donner mon nom, un nom honnête à la place de son nom souillé, la réhabiliter aux yeux des autres et aux siens. Elle était pâle… Je me disais : C’est son affreuse position qui la torture, le pain qu’elle mange est si amer !