Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/319

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pris. Il n’épargne pas davantage les délicatesses du spectateur, parce qu’il ne veut point farder l’horreur de sa vision. Il est formidable comme l’abîme.

Mais vous me dites : Ce n’est point là l’histoire telle que je la connaissais. Ce monde atroce n’a jamais existé. Cette couleur est forcée. L’homme n’a pas été si puissant pour le mal.

Hélas ! quant au dernier point, je crois que vous vous trompez bien, et qu’il est dans la fatalité de tous les cultes d’engendrer les forfaits. Sans remonter jusqu’aux dieux Kabyres, la douce loi du Christ n’a-t-elle pas enfanté l’inquisition et la Saint-Barthélemy ?

Quant à la couleur locale, il est d’usage de la recomposer à l’aide de la science, et permis de la compléter par les forces de la logique d’induction. C’est avec des fragments incomplets que la paléontologie a reconstruit des mondes plus anciens que le monde punique. Ceci exige de grandes études que tout le monde n’est pas en état de vérifier, et ni vous ni moi ne pouvons nous permettre de dire que l’auteur de Salammbô a forcé ou atténué sa peinture. Il nous faudrait peut-être, à nous comme à lui, une dizaine d’années consacrées à en étudier l’objet et les moyens.

D’ailleurs, cette vérification n’a rien à faire avec la question d’art. Est-ce de la belle et bonne peinture ? Voilà ce dont il s’agit et ce que tout le monde est appelé à juger. Je ne crois pas que l’on puisse nier la beauté de la couleur et du dessin. Faut-il vous rappeler qu’on peut, comme les maîtres espagnols, faire de la peinture admirable avec des sujets atroces ?

Elle est un peu chatoyante, cette peinture, j’en conviens. Toute chose a son défaut, si réussie qu’elle soit. Il y a peut-être trop de lumière répartie avec une