Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/339

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de la philosophie pratique. Dès qu’elles l’auront compris, elles verront clairement que les lettres sont une véritable république et que les sénats littéraires sont condamnés à disparaître dans un temps donné. Quand la poésie languit, c’est qu’elle est étouffée par des influences prosaïques et qu’elle a la poitrine oppressée par quelque ambition étrangère à sa nature. Quand elle s’épanouit, c’est qu’elle a entendu sonner l’heure de l’indépendance et qu’elle a senti dans le public, son seul juge, le frémissement de la liberté rénovatrice. Jamais le désir d’arriver à l’Académie ne fera surgir un talent nouveau. Les dons de l’intelligence sont le produit plus ou moins spontané d’une culture sui generis que personne ne peut réglementer, et les traditions se brisent comme le verre là où le génie commence. Aucune récompense, aucun encouragement ne sert là où le feu sacré ne brûle pas. Le privilège d’appartenir à une assemblée d’élite n’est qu’un stimulant très-secondaire pour celui que stimule avant tout le besoin d’éclairer ou de charmer la multitude. Les lauriers du Parnasse sont passés de mode et l’homme n’a plus affaire aux dieux de l’Olympe, mais bien aux hommes de son temps, car les gloires consacrées par décret ne relèvent en somme que du public et de l’histoire.

L’horizon des gens de lettres s’est donc élargi, depuis le grand siècle, dans une proportion que l’Académie a dû suivre sans être enchaînée par l’esprit de corps. Recrutée précisément parmi ceux que le succès lui impose, elle a dû renoncer à tout privilège de maîtrise intellectuelle, et c’est bien en vain qu’elle prétendrait assurer le règne de la tradition, conserver les lois du langage et régler les formes de l’art. Elle