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QUESTIONS D’ART ET DE LITTÉRATURE

avoir lu ces Miettes importantes qui sont la seule importante histoire de cette île, nous sommes tenté de partager le dépit et le dédain des exilés qui ont dû, à un moment donné, la quitter en secouant la poussière de leurs pieds pour ne rien emporter d’elle, pas même un souvenir. Mais à distance, l’exilé lui-même se prend à regretter cette belle nature et les amis qu’il y a laissés. Il se dit sans doute, qu’au temps où nous vivons, les minorités seules sont appelées à compter dans l’avenir, puisqu’elles seules auront agi et pensé en vue de l’avenir. Elles méritent donc bien que ceux qui en font partie dans le présent s’apprécient les uns les autres, et c’est à cause de la minorité qui protesta à Jersey contre l’exclusion des réfugiés, que nous pardonnons à la majorité jersiaise, aujourd’hui repentante, un jour d’aveuglement, de colère et de lâcheté.

Cette histoire de Jersey commence par une légende, puis elle entre dans les faits, de plus en plus authentiques, qui amenèrent sur cet îlot et sur les îlots voisins tantôt des écumeurs de mer, tantôt de célèbres pirates poliliques, et tantôt d’illustres fugitifs. Juvénal, Rabelais ou Michelet ne désavoueraient pas certaines pages de cette narration violente et maligne qui résume, dans leurs traits les plus saillants et les plus concluants, les crimes des forts et les misères des faibles. Tout le Moyen Age et toute la Renaissance passent là sous les yeux, à propos de quelques noms célèbres qui ont été enregistrés dans les annales de Jersey, comme des voyageurs sur le livret d’une hôtellerie : Jersey est là comme un prétexte (un excellent prétexte, il faut le dire), pour nous présenter les biographies largement dessinées de Gabriel de