Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/353

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

du tout facile avec un sujet profondément triste.

Qu’on nous permette, à propos de la manière de composer de M. About, de dire ce que nous pensons de la composition en général. Nous savons qu’elle a des règles et qu’elles sont bonnes. Pourtant nous confessons que pour les autres, comme pour nous-mêmes, nous en faisons souvent bon marché. Nous suivons en cela l’exemple des maîtres, et nous ne voyons pas qu’ils consentent à sacrifier à la règle des proportions l’abondance et l’utilité des détails. Les Misérables en offrent la preuve. Le roman est là comme une trame très-lâche que l’auteur complète de larges broderies d’un effet très-puissant et d’un travail très-fini. Tour à tour poëte, historien, artiste et philosophe, qu’il s’engage dans le labyrinthe souterrain d’une grande ville, ou dans celui de la conscience d’un homme, qu’il raconte une grande catastrophe historique ou le combat de quelques obscurs bandits, il ne sacrifie rien à l’impatiente curiosité de son lecteur ; il n’y a même aucun égard. Il fait de son œuvre une sorte de brillant archipel semé d’îles merveilleuses, où il faut bien l’accepter pour guide, sans compter les heures de station du navire, et sans avoir bonne grâce à vouloir passer les yeux fermés. Quel autre cicérone vous les montrerait avec plus de science, d’éclat et de profit pour vous-même ?

Je sais qu’à ce degré de puissance on passe pardessus tous les règlements, et que toutes les libertés ne siéent pas à tout le monde. Mais si l’on veut bien y réfléchir, on reconnaîtra que le roman est une conquête très-nouvelle de la littérature, conquête assez sérieuse et assez importante pour être reconnue par l’Académie elle-même.