Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/355

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dont l’esprit critique, ce législateur si savant et si meurtrier, ne les fera que trop tôt sortir.

Et puis, il faut qu’on nous autorise à avoir les défauts et les qualités de notre temps. Ne traversons-nous pas une époque de controverse universelle ? Nous ne faisons qu’enjamber des ravins et côtoyer des précipices. C’est un dur voyage, mais il est beau, et, quoi qu’on en dise, il y a encore des forces vives, des jeunesses puissantes. C’est un peu la mode de dire que depuis la première moitié du siècle, aucun talent bien original ne s’est révélé. Ce n’est pas notre avis. Nous trouvons le public ingrat et difficile envers les nouveaux venus. S’il était vrai que le sol littéraire, fatigué et appauvri, exigeât quelques soins pour se couvrir de fleurs nouvelles, ne serait-ce pas que le public, chargé de son entretien, se montre, comme certains capitalistes, trop défiant ou trop avare ?

Pour nous, nous n’aimons pas ce dédain, ces préventions contre ceux qui labourent le champ que nous quitterons demain. Les anciens croyaient au destin plus puissant que les dieux : nous croyons au progrès qui est l’attribut vital de la Divinité. Cette grande loi qui pousse l’homme en avant malgré tout, travaille tout aussi bien aujourd’hui qu’elle travaillait hier. Mais l’homme veut des prodiges à toute heure, sans s’apercevoir que les germes encore enfouis sur lesquels il marche sont des prodiges qui couvent, et que de siècle en siècle, tout en maudissant le présent et désespérant du lendemain, chaque génération a eu sa jeunesse, ses forces, son riant avenir et son passé fructueux.

Ce que l’on croit pouvoir reprocher à la jeunesse actuelle, — ce que nous même avons été tenté de re-