Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/365

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Que l’on nous permette de citer cette courte profession de foi d’un moraliste très-net :

« Nous n’avons plus cette illusion d’un autre monde qui consolait, dit-on, nos grands parents. Quelques années rapides et rarement heureuses entre deux absolus, voilà notre lot. Eh bien, qu’importe ? Le mal a beau être impuni dans la vie et après la vie, il est le mal, et nous devons l’éviter pour lui-même, comme nous devons faire le bien pour lui-même et sans espoir d’aucune rétribution. On peut, on doit tirer parti de cette vie si courte et si tourmentée, pour le progrès général. Tâchons d’améliorer l’homme en nous et autour de nous, et de pousser le siècle en avant, au risque de nous casser les bras. »

Certes, voilà un programme qui montre l’énergie du cœur et le bon service que la bonne cause peut attendre de la morale moderne. Il s’y mêle une sorte de fanatisme assez piquant, car les hommes généreux qui raisonnent ainsi, ressembleraient volontiers à des martyrs. Eh quoi ! ils ont tant d’orgueil qu’ils ne veulent pas de récompense, même après la vie, et tant de charité qu’ils se casseraient les deux bras pour ces frères d’un jour qu’ils ne retrouveront jamais ailleurs ! Mettons-nous à la place de ce souverain juge que les religions nous représentent si sévère et si casuiste. Ne dirions-nous pas aux moralistes sans espoir : Vous aurez la meilleure place aux champs uraniens, vous qui avez voulu labourer pour rien la terre ingrate d’où vous venez ?

Que d’autres condamnent à l’enfer ceux qui croient au néant. Nous qui ne croyons ni à l’un ni à l’autre, estimons avant tout le dévouement courageux. Sur ce terrain-là, il y a encore une belle communion à faire.