Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/377

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bitieux, il n’aima l’argent que pour se faire des amis. Acheter l’amitié, payer les suffrages, gorger la plèbe, voilà toute la vie de César, et c’est dans l’art de placer utilement ses largesses qu’il faut, avant tout, chercher le secret de son influence et de son prestige. Telles étaient les mœurs romaines ; tels étaient, nous dit-on, les moyens de ce temps corrompu. César s’en servit avec profusion ; nul n’avait jamais su s’en servir comme lui, il reconnut que c’était les meilleurs, il crut qu’il n’y en avait pas d’autres. Eh bien, je ne puis admettre que l’on porte en soi une ambition vraiment noble quand on est, à ce point, l’homme de son temps, quand on personnifie en quelque sorte le mal qui règne, le fléau qui sévit.

Je ne vois pas pour cela dans César un hypocrite voué au mal de parti pris et se le proposant comme le but de ses intrigues. Non, je vois en lui une spontanéité continuelle pour le mal et pour le bien, une nature excitée et sollicitée dans tous les sens ; doux par caractère, cruel sans plaisir et sans pitié, d’un cœur vide et froid avec de l’imagination ; une immense vanité, un goût exquis pour n’en laisser paraître que le côté aimable ; tour à tour dissimulé et abandonné, voluptueux sans amour, débauché sans ivresse, vindicatif à la manière des orgueilleux, sous une habitude de générosité exubérante, et trouvant son plus grand plaisir à avilir ses ennemis en les caressant : enfin un caractère beaucoup moins profond qu’on ne le suppose, mais doué d’instincts très-vivaces et toujours en éveil ; assez bien trempé pour les satisfaire tous, même les plus contraires, ne sachant guère dompter ceux qui pourraient user ses forces, ne le voulant peut-être pas, et pourtant se ménageant tout à coup